Alexandrina est une femme de ménage et assistante naturaliste recrutée par le couple Agassiz à Tefé en septembre 1865 lors de l'expédition Thayer (en). La seule trace écrite de sa vie est le journal de l'expédition, qui la décrit principalement comme une curiosité du point de vue du racisme scientifique, mais qui souligne aussi ses compétences en tant que guide herborisant et laborantine. Les éditions de ce récit de voyage contiennent deux portraits d'Alexandrina, remarqués pour leur sensibilité inattendue et leur ambiguïté par plusieurs chercheurs au XXIe siècle. En 2022, un court-métrage inspiré d'Alexandrina est sorti au Brésil dans le cadre d'un projet sur les identités afro-indígena dans l'Amazonie contemporaine.
Biographie
Les seules informations directes sur la vie d'Alexandrina sont deux entrées de journal et deux gravures parues dans le Voyage au Brésil du couple Agassiz.
Texte
L'existence d'Alexandrina n'est connue qu'à travers deux passages du récit de voyage de l'expédition Thayer (en), un carnet de bord sur le séjour d'un groupe de scientifiques au Brésil entre 1865 et 1866, menés par Louis Agassiz. Les deux extraits sont écrits par Elizabeth Cary Agassiz, de son propre point de vue. Ils sont publiés au chapitre VII, « Life in Teffé », au chapeau « Alexandrina as Scientific Aid ». Dans la traduction en français de Félix Vogeli, parue en 1869 dans Le Tour du monde, la première mention d'Alexandrina est:
« 27 septembre. - [...] Outre Bruno, nous avons une servante, Mlle Alexandrina, qui, à en juger par l’apparence, doit avoir dans les veines un mélange de sang indien et de sang nègre. Elle promet beaucoup, et semble joindre à l’intelligence de l’Indien la souplesse plus grande du nègre. »
La seconde mention, la plus longue, se trouve dans la troisième livraison:
Ce dernier paragraphe est résumé par Louis Menand ainsi dans son ouvrage The Metaphysical Club: « Ils virent une hiérarchie dans des cheveux. » Néanmoins, Alexandrina est la seule personne à propos de laquelle Elizabeth Agassiz présente le métissage comme pouvant produire une amélioration. C'est une exception extraordinaire, étant donné que le couple Agassiz estime par ailleurs que la Guerre de Sécession aux États-Unis, qui vient tout juste de se terminer lors de leur rencontre avec Alexandrina, aurait en fait été causée par la « miscégénation raciale ». Il reste qu'Elizabeth compare Alexandrina à un singe, la déshumanisant.
Comme aucun nom de famille n'est connu concernant Alexandrina, il est difficile de retrouver sa trace dans les archives, et Patricia Alves Melo rapporte avoir échoué à déterminer si elle était juridiquement considérée comme une esclave ou comme une personne libre. Toutefois, selon Anderson Pereira Antunes, Alexandrina « est, dans l'ensemble du livre, la seule personne esclavagisée dont figure une illustration ».
Reed Gochberg rappelle que le travail d'Alexandrina, comme celui des nombreux autres guides locaux employés par l'expédition, n'est jamais crédité dans les travaux scientifiques qui en ont résulté. Elle estime que Louis Agassiz « s'est approprié et a exploité leur savoir ».
Portraits
Les gravures d'Alexandrina sont basées sur un dessin de William James, jeune membre de l'expédition. Dans Voyage au Brésil, les portraits servent à illustrer des « types raciaux », en mettant en exergue des caractéristiques corporelles remarquées par Louis Agassiz. En l'occurrence, ce sont les cheveux d'Alexandrina. Pourtant, dans son cas, son image manifeste une ambiguïté troublante qui n'est pas autant présente dans les photographies d'autres femmes prises par Walter Hunewell lors de l'expédition, marquées par les stéréotypes racistes. Selon Kendall Johnson, James et Agassiz, hantés par la chevelure peignée d'Alexandrina, ressentent une « angoisse de reconnaître la sexualité » de celle-ci, car son pouvoir érotique inverserait la violence symbolique et la prétendue objectivité du racisme scientifique: « dans les yeux d'Alexandrina, le scientifique devient l'objet de curiosité ».
Selon un spécialiste de William James, le portrait d'Alexandrina manifeste une « dignité individuelle, une touche de tristesse, et même un certain détachement sceptique ». Pour Croce, ce dessin de James représenterait une résistance discrète à l'idéologie raciste de son temps, et il avance qu'Alexandrina a pu être pour lui un modèle d'intelligence naturaliste.
L'édition originale et la traduction en français n'utilisent pas la même gravure pour représenter Alexandrina. Kelly Mohs Gage remarque que sur l'une, Alexandrina est habillée, tandis que sur l'autre, elle est nue. Pour expliquer la différence importante de l'expression faciale dans les deux portraits, Gage rappelle qu'une partie significative des photographies prises au cours de l'expédition par Augusto Stahl sous la supervision de Louis Agassiz sont des portraits de femmes racisées vêtues puis dévêtues. Gage fait observer que les visages sur les clichés déshabillés expriment un malaise plus important que sur ceux avec des vêtements. Pour Gage, cet écart vaut aussi pour les deux images d'Alexandrina: sur celle où elle est dénudée, son regard est fuyant, ses lèvres, ses sourcils et ses épaules sont tendues.
- Gravures semblables
Film commémoratif
Le court-métrage Alexandrina — Um Relâmpago de Keila Sankofa, sorti en 2022 et d'une durée de 11 minutes, est un hommage à Alexandrina. Ce film parle des identités afro-amérindiennes dans l'Amazonie contemporaine, et de la mémoire des ancêtres de l'époque coloniale. Au festival Olhar do Norte de 2023, qui promeut le cinéma amazonien, le film vaut à Keila Sankofa le prix de la meilleure réalisation et à Francisco Ricardo celui de la meilleure direction artistique, grâce à leur œuvre dédiée à « la première femme noire naturaliste d'Amazonie ». Le 26 avril 2024, Sankofa reçoit le prix Aquisição lors de la 13e édition du Prêmio Diário Contemporâneo de Fotografia, à Belém.
La critique Correnteza Braba cite l'introduction du film, qui selon elle résume le propos de montrer « la désobéissance d'Alexandrina au désir blanc d'objectifier l'individu noir »:
Notes et références
Notes
Références
Liens externes
- Bande-annonce d'Alexandrina – Um relâmpago
- Intégrité du film disponible sur la plate-forme gratuite d'Itaú Cultural
- Fiche du film sur le site Sala 54
- Fiche d'Alexandrina sur le site de l'Université fédérale d'Espírito Santo
- Sur les serviteurs employés par les expéditions naturalistes au Brésil au XIXe siècle de manière générale, voir (pt-BR) Ildeu Moreira, « O escravo do naturalista », Ciência Hoje (en), vol. 31, no 184, (ISSN 0101-8515, lire en ligne)
- Sur l'iconographie du racisme scientifique chez Louis Agassiz, voir (pt-BR) Sasha Huber, (T)races of Louis Agassiz: photography, body, and science, yesterday and today [« Rastros e raças de Louis Agassiz: fotografia, corpo e ciência, ontem e hoje »], Associação Capacete Entretenimentos, coll. « Capacete produções », (ISBN 978-85-63537-02-7, lire en ligne)
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